Mardi 10 septembre 2024 : CORÉE DU SUD – Quitter l’effervescence de Séoul pour me rendre à Icheon fut une traversée à la fois physique et intérieure. Située à environ 80 kilomètres au sud-est de la capitale, cette ville est reconnue dans toute la Corée du Sud — et au-delà — comme un haut lieu de la céramique traditionnelle.
« Le voyage t’apportera la connaissance des peuples, le raffinement des caractères, et une noble tenue. »
— Ibn ʿArabī, Les Illuminations de La Mecque¹
Depuis les années 1980, le village de la céramique d’Icheon a été aménagé pour accueillir une large communauté d’artisans. On y compte aujourd’hui plus de 300 céramistes, regroupés dans un environnement propice à la création, à la transmission et à l’exposition de leurs œuvres. Ce village est né du souhait de préserver l’héritage du cheongja (céladon), du baekja (porcelaine blanche) et du buncheong (grès décoré), trois grandes traditions céramiques coréennes.
Pour y parvenir, j’ai enchaîné plusieurs lignes de métro, avant de monter dans un bus traversant des paysages ruraux apaisants : champs de piments, serres lumineuses, maisons basses. Déjà, une sensation de lenteur et de terre.
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Rencontres au cœur de la matière
Le village s’organise comme une petite cité artisanale : ateliers, fours traditionnels, galeries, cours intérieures… Le premier espace où je me suis arrêtée était fermé, mais une dame coréenne m’a ouvert la porte avec bienveillance. Fleuriste de métier, elle composait des bouquets pour des élèves. Nous avons échangé via une application de traduction, un moment simple, mais profondément humain.

Un peu plus loin, je suis entrée dans l’atelier d’un maître céramiste. L’homme m’a accueillie avec chaleur, nous avons dialogué par le biais de l’application qui traduit sur son téléphone. En effet, l’anglais n’est pas couramment une langue parlée en Corée du Sud et ce, même à Seoul. Il m’a montré ses créations, notamment une technique de double paroi impressionnante, exigeant précision et patience. Ancien président du village, il m’a confié deux ouvrages illustrant son parcours et ses participations internationales. Malgré la langue, la matière parlait pour lui.
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Portrait d’artiste – Wang Goeun, la poésie de la porcelaine
Au cœur du village de la céramique d’Icheon, j’ai rencontré Wang Goeun, une céramiste coréenne dont l’œuvre incarne douceur, minutie et transmission.

Née en Corée du Sud, Wang Goeun a grandi dans un environnement imprégné de gestes artisanaux. Sa mère, elle-même céramiste, travaille la fleur en porcelaine avec une délicatesse presque botanique. Ensemble, elles ont fondé Playt – ceramic flowers, un atelier à deux voix, à deux générations, où les formes prennent vie dans le silence des mains.
Goeun façonne des fleurs, mais aussi des histoires. Son travail explore les liens entre la nature et l’intime, entre la mémoire des gestes traditionnels et une esthétique contemporaine épurée. Chaque création semble suspendue entre fragilité et permanence, évoquant le souffle du vivant figé dans la terre cuite.
Formée à la céramique dès ses études, elle a progressivement développé un style personnel, mêlant influences coréennes et ouverture vers l’international. Elle expose régulièrement en Corée et participe aux événements organisés autour du Korea Ceramic Foundation, notamment pendant la Biennale internationale de la céramique à Icheon.
Ce qui frappe chez Wang Goeun, au-delà de ses œuvres, c’est sa présence discrète mais lumineuse, sa capacité à accueillir l’autre avec simplicité, et ce désir sincère de partager son univers. Notre échange, bref mais profond, m’a laissé l’impression d’avoir rencontré non seulement une artiste, mais une âme tournée vers l’harmonie.
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À la Biennale
La Biennale internationale de céramique d’Icheon se déroule dans un grand parc, avec un musée contemporain entouré de pavillons et de stands. Je n’ai pas tout visité, mais j’ai saisi l’ampleur de cet événement : une célébration vivante de la céramique contemporaine et traditionnelle, où le feu, la terre et la main se répondent.
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Retour à soi
Le retour vers Séoul fut un chemin en soi : marche, taxi, puis les métros vers mon Airbnb à Chungmuro. J’étais un peu fatiguée, mais le cœur rempli. Ce que j’ai vu n’est qu’une infime partie du village, et pourtant… chaque rencontre, chaque geste, chaque objet portait en lui un monde.
Je retiens surtout la présence de Wang Goeun. Par sa simplicité, son attention et son art, elle m’a rappelé combien la céramique est un langage de la relation : entre la terre et le feu, entre la mère et la fille, entre l’invitée et l’hôte, entre soi et l’autre.
« On ne se connaît pas soi-même ; il faut passer par le détour d’autrui. »
— Paul Ricœur, Soi-même comme un autre²
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¹ Ibn ʿArabī, Les Illuminations de La Mecque (Al-Futūḥāt al-Makkiyya), trad. Michel Chodkiewicz, Albin Michel, 1989.
² Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1990, p. 18.